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Lipobay

Novethic, Juin 2002

Tempête sur l'anti-cholestérol de Bayer

Neuf mois après le retrait du marché de son médicament anti- cholestérol, mis en cause dans le décès de plusieurs personnes, le laboratoire Bayer fait l'objet de nombreuses plaintes dans le monde. En France, les autorités sanitaires insistent pourtant sur les propriétés curatives des traitements à base de statine.

700 plaintes enregistrées au pénal contre le laboratoire pharmaceutique Bayer. Plusieurs témoignages de patients présentant des insuffisances rénales ou des troubles musculaires parfois irréversibles. Des interrogations sur la mort suspecte de quatre personnes... Même si le conditionnel reste de mise, le parquet de Nanterre - ville d'implantation du siège social de Bayer France - a jugé le dossier de la cérivastatine suffisamment étoffé pour ouvrir une information judiciaire pour " homicides involontaires " et " coups et blessures involontaires ". Pourtant, dans le même temps, l'Agence française du médicament (Afssaps) vient de rendre un avis plus que favorable aux traitements à base de statine. Leur intérêt dans la lutte contre las maladies cardiovasculaires est " largement démontré et bien supérieur au risque de développer un problème musculaire ", insiste l'Afssaps.

Retour un an en arrière. La cérivastatine, principe actif anti-cholestérol du laboratoire allemand Bayer, est vendue aux Etats-Unis sous l'appellation Lipobay ou Baycol, en France sous les marques Staltor (Bayer Pharma) et Cholstat (Fournier)... jusqu'à ce 8 août 2001, date à laquelle Bayer décide de les retirer du marché. A l'origine de ce coup de tonnerre, la mort de 34 personnes soignées par cérivastatine aux Etats-Unis et des centaines de cas de lésions musculaires graves (rhabdomyolyse).

Médicament " dangereux " ?
700000 patients suivaient un tel traitement aux Etats-Unis, ce qui explique la montagne de plaintes - entre 40000 et 50000 enregistrées à ce jour - à laquelle Bayer, mais aussi Glaxosmithkline qui détenait une licence de commercialisation, doivent faire face outre-Atlantique. Les dirigeants de Bayer ont-ils tardé à prendre des mesures ? " Au moment du retrait de la cérivastatine, Bayer avait connaissance d'environ 52 décès chez des personnes qui avaient été traitées par cérivastatine et ayant présenté une rhabdomyolyse. Ces rapports reçus jusqu'à fin juin 2001 ont continué à être suivis jusqu'au moment du retrait ", expliquait le laboratoire dans un communiqué en décembre 2001. " A ce jour le nombre de cas suspects aux Etats-Unis est de 34, il est de 4 en France ", dit aujourd'hui Sophie Bottai, l'avocate de Bayer France.
Mais la question de fond, comme l'illustre l'avis de l'Afssaps, est tout autre. En France, les tribunaux devront juger de l'éventuel lien de causalité entre la prise du médicament et les effets observés, afin d'évaluer l'éventuelle responsabilité pénale et/ou civile du laboratoire. " Or, si nous n'avons jamais nié les problèmes liés à l'utilisation du médicament, les spécialistes de l'Afssaps nous confirment que l'évaluation de la cérivastatine est largement positive ", insiste Sophie Bottai, l'avocate de Bayer France. De fait, ce n'est pas l'utilisation en soi de la caérivastatine qui est en cause, mais son association avec d'autres types de traitements, en particulier les fibrates. " Ces contre-indications étaient clairement mentionnées dans les notices ", souligne Sophie Bottai. Du coup, les plaintes de patients français risquent de trouver un écho peu favorable auprès des tribunaux.

Reste la question de l'enjeu économique. Les ventes mondiales de la cérivastatine généraient à elles seules 600 millions d'euros de chiffre d'affaires pour Bayer. 6 millions de personnes étaient traitées dans le monde, dont 500000 en France. Pour parvenir à ce statut de " best-seller ", le laboratoire a-t-il exercé des pressions commerciales auprès des prescripteurs, au risque de mettre en danger la santé des patients ? C'est la question que se posent les avocats américains des plaignants, au vu de l'importance des doses prescrites : jusqu'à 0,8 milligrammes aux Etats-Unis, contre 0,4 milligrammes maximum en Europe. " A mon sens nous n'étions pas dans une logique de vente de n'importe quel dosage à n'importe quel prix, défend Sophie Bottai. En revanche, le circuit de vente des médicaments est peut-être mieux contrôlé en Europe qu'aux Etats-Unis ".

Des gélules contre un logiciel ?
De ce côté-ci de l'Atlantique précisément, le Canard Enchaîné affirmait dans son édition du 29 août 2001 que Bayer avait été épinglé en 1998 par le Conseil national de l'ordre des médecins pour avoir offert des cadeaux - dont un logiciel d'une valeur de près de 10000 francs - aux médecins souscrivant le Staltor. " C'est interprétation est fausse, oppose Sophie Bottai. En premier lieu Bayer a acquis ce logiciel au prix de gros de 550 francs hors taxes, alors qu'il était vendu 1000 francs au grand public. Ensuite il s'agissait d'un service rendu aux médecins souhaitant informatiser la gestion de leur cabinet, et ce sans contrepartie. C'était de la part de Bayer une démarche d'image et non une incitation à prescrire du Staltor ". En outre et toujours selon le Canard Enchaîné, le logiciel en question contenait des données médicales et des posologies incomplètes, voire " potentiellement dangereuses " pour les patients. " Il a été retiré, corrigé et la nouvelle version a ensuite été proposée aux médecins ", assure aujourd'hui Sophie Bottai.